HOFMANNSTHAL (H. von)

HOFMANNSTHAL (H. von)
HOFMANNSTHAL (H. von)

La littérature autrichienne affirme assez tard son caractère original parmi les diverses littératures de langue allemande. Elle ne l’atteint qu’au XIXe siècle avec Franz Grillparzer et Nikolaus Lenau. À leur suite viennent des romanciers surtout provinciaux et un théâtre souvent folklorique, voire dialectal. Mais au tournant du siècle de jeunes auteurs viennois commencent à élever la voix. Hugo von Hofmannsthal est d’eux tous le plus brillant et le plus jeune.

Vienne aux dernières années de l’empire des Habsbourg, capitale de plusieurs nations, placée au confluent des races, ville de culture européenne, ouverte à la fois à l’Europe et à l’Orient, patrie de la vie élégante et frivole, de la musique et de l’art baroque: il y a de tout cela chez Hofmannsthal lorsqu’il apparaît sur la scène littéraire, paré de toutes les séductions de la jeunesse et du génie.

Poète lyrique, il excella dans le raffinement. L’impressionnisme allemand n’a rien produit de plus chatoyant. Bientôt, cependant, son inspiration appelle des formes dramatiques, d’abord élémentaires, puis, sous l’influence des Grecs, le mène à la tragédie. Une tragédie à la fois « préhomérique » et d’avant-garde par l’utilisation des découvertes de la psychopathologie. Collaborateur de Richard Strauss, il fut le librettiste de ses opéras les plus fameux. On lui doit également le festival de Salzbourg. Homme du monde, très attiré par la culture française, il connut Rodin, Charles Du Bos, André Gide, et fut admiré autant par Breton que par Claudel.

Le poète de l’éphémère

Né à Vienne, fils de fonctionnaire, de milieu aisé, Hugo von Hofmannsthal est allemand et autrichien par sa mère, italien et juif par sa lignée paternelle; petit-fils d’un négociant anobli au XIXe siècle pour services rendus aux armées, enfant unique et choyé, brillant élève au lycée, il n’attend pas d’en être sorti pour collaborer à de petites revues qui impriment ses premiers vers et de délicats articles de critique. Sa patrie intellectuelle, c’est le fameux café Griensteidl où se réunissent les jeunes écrivains, et ce qu’il compose est vite remarqué. En le lisant, Hermann Bahr imagine un auteur d’âge mûr, cultivé et plein d’expérience: il trouve presque un enfant, dix-sept ans, et des culottes courtes. Stefan George, poète déjà glorieux, se déplace tout exprès pour voir l’enfant prodige qu’il médite d’annexer à son cénacle. Si la rencontre ne fut guère féconde, c’est que les deux poètes étaient trop différents de nature et de talent. Autour de la vingtième année, des études de droit et de lettres, une thèse sur Victor Hugo, des voyages en Provence et en Italie, un séjour à Paris, le service militaire et le mariage – heureux et sans histoire. Pas de vie plus simple, plus unie.

Les recueils lyriques par lesquels Hofmannsthal s’est d’abord fait connaître sont parmi ce que la poésie de langue allemande a produit de plus raffiné. Leur sujet? Tout ce qui brille et tout ce qui passe, les mille sortilèges dont la nature se sert pour nous envoûter: couleurs, parfums, musiques, tendresses dont on sait la fragilité; la mort des enfants et la chute des fruits mûrs, et le reflet des torches sur l’eau; toute l’émotion que peut contenir l’expression d’un visage aimé, un regard, un sourire. De toute part, la vie mentale apparaît cernée par le rêve et s’y fond. Et le poète de répéter après Shakespeare: « Nous sommes faits de l’étoffe des rêves », car, ajoute-t-il, « ces trois sont un: un homme, une chose, un rêve ».

De petits drames en vers reprennent ces thèmes en les élargissant un peu. Il y passe un souvenir du Musset des Comédies et Proverbes et des courtes pièces de Maeterlinck. Der Tod des Tizian (La Mort du Titien ), 1892, n’est qu’une élégie dialoguée, Das kleine Welttheater (Le Petit théâtre du monde ), 1897, un défilé d’ombres chinoises. Der weisse Fächer (L’Éventail blanc ), 1897, est un dialogue d’amoureux dans un jardin des Îles. Die Frau im Fenster (La Femme à la fenêtre ), 1897, met en scène une anecdote à dénouement tragique, empruntée à d’Annunzio. Die Hochzeit der Sobeide (Le Mariage de Zobéide ), 1899, se réfère à une source orientale. Des héros très jeunes et romanesques à souhait, des héroïnes fragiles et charmantes échangent leurs pensées sur la vie et la valeur de la vie, l’amour et le prix de l’amour, la mort et le sens de la mort. Un mari brutal interrompt le rêve, ou quelque incurable mélancolie se met en travers du bonheur. On aperçoit la monotonie des thèmes, et presque leur banalité. Mais tout est sauvé par l’intensité de l’émotion, la beauté musicale du style, la grâce du décor.

Der Tor und der Tod (Le Fou et la Mort , 1893) posait un problème qui reviendra plusieurs fois dans l’œuvre de Hofmannsthal: un homme heureux – ici un jeune homme – voit apparaître la mort, qui vient lui demander compte de ce qu’il a fait de sa vie, de tout ce qu’il en a gaspillé, par orgueil, par légèreté, par indifférence, par caprice. Un dialogue pathétique s’engage, qui s’achève par la résolution virile du héros de bien mourir.

Conscient de ce que pareille dramatique a encore de sommaire, le poète va progressivement approfondir son inspiration et chercher à accéder par degrés à l’ampleur du drame shakespearien et à la tragédie.

De la tragédie à l’opéra

Der Abenteurer und die Sängerin (L’Aventurier et la Cantatrice ), 1899, dont l’anecdote est empruntée aux Mémoires de Casanova, avait déjà un peu plus de substance. L’action se passe au XVIIIe siècle, à Venise, alors pleine d’intrigues galantes et de musique. L’amour fidèle de la cantatrice n’arrive pas à retenir, à fixer l’aventurier au cœur innombrable. Une image très différente de la ville que Hofmannsthal a tant aimée remplit le drame de Das gerettete Venedig (Venise sauvée ), 1902, très librement composé d’après la Venice Preserved de Thomas Otway. C’est la Venise du XVIIe siècle, en proie aux rivalités de familles souveraines, aux complots, aux meurtres, à tous les vices. Comment un amour pur, une amitié virile pourraient-ils subsister en pareil cloaque? Hofmannsthal n’a peut-être pas fait mieux que son modèle; il a intensifié les couleurs, simplifié les caractères, prêté à ses personnages les grands discours pathétiques qu’il admirait chez Hugo.

Pourtant, un autre monde tragique se découvre à lui, celui du théâtre de la Grèce antique. Aussi le voit-on successivement traduire (avec quelques modifications) l’Alceste d’Euripide et l’Œdipe roi de Sophocle, puis composer une Elektra (1903) dont la violence dépasse celle des poètes anciens. Les théories récentes de Burckhardt et de Nietzsche lui ont suggéré une image nouvelle de la Grèce préhomérique, livrée aux instincts et aux passions, tout à l’opposé de la fameuse sérénité grecque. Non seulement Électre, dont Euripide a peint la déchéance, mais sa mère aussi, et sa sœur, et même les jeunes servantes vivent courbées sous le souvenir du crime dont on ne parle jamais, mais qui hante leurs jours et leurs nuits. Hofmannsthal n’ignorait rien des recherches de psychopathologie de l’école viennoise contemporaine. Devant l’intensité et la variété des désordres nerveux qui affectent tous ces personnages, on a pu dire que le sujet de la pièce était la peinture d’une hystérie collective dans la maison des Atrides. Bien entendu il ne s’agit pas d’une observation clinique mise en vers, mais d’un drame aux profondes résonances morales, et un grand musicien ne s’y est pas trompé qui a donné à la pièce la somptueuse traduction de la musique.

Les relations de Hofmannsthal avec Richard Strauss datent de cette première collaboration. Pendant des années, les deux artistes ont travaillé en étroite union ainsi qu’en témoigne leur correspondance. Alors que Œdipus und die Sphinx (Œdipe et le Sphinx ), 1905, encore un sujet freudien, n’a pas reçu de traduction musicale, on peut dire que Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la rose ), 1911, Ariane auf Naxos (Ariane à Naxos ), 1912, Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre ), 1919, ont été d’emblée écrits comme des livrets d’opéra; de même Die ägyptische Helena (Hélène d’Égypte ), 1928. Le Chevalier à la rose incarne toute la grâce du rococo autrichien, Ariane est un opéra mythologique dans le goût du XVIIe siècle, destiné à remplacer le ballet final du Bourgeois gentilhomme , nationalisé viennois pour l’occasion. La Femme sans ombre , opéra féerique d’une grande richesse symbolique et d’un hermétisme raffiné, n’est pas sans rappeler le merveilleux de La Flûte enchantée .

Dernières années

La guerre, qui amena la fin d’un monde auquel Hofmannsthal tenait par toutes ses fibres, semble avoir réveillé en lui le mysticisme qui dès 1911 lui avait inspiré Jedermann , l’œuvre qui lui valut le plus de succès en Autriche et ailleurs. Il s’agit d’une moralité en vers « renouvelée », comme dit le poète, de deux œuvres anciennes, l’une anglaise, Everyman (1490), l’autre allemande, de Hans Sachs, Comédie de la mort de l’homme riche. On reconnaît, sous d’autres couleurs, le thème du Fou et de la Mort. L’homme riche, au milieu du banquet qu’il offre à ses amis, perçoit l’appel impérieux de la Mort. Qui l’assistera, qui l’accompagnera dans ce dernier passage? Ceux qu’il sollicite, son meilleur ami, ses proches parents, sa maîtresse se récusent, terrifiés. Son or ne lui servira de rien. Seules ses Bonnes Œuvres, si débiles, et sa Foi lui donneront un dernier réconfort. Cette histoire assez simple est mise en scène avec un luxe de personnages humains et métaphysiques: Dieu, le Diable, la Mort, l’archange saint Michel. Jouée sur le parvis de la cathédrale de Salzbourg, devant l’église ouverte, l’autel illuminé, au son des orgues et des cloches, elle fait toujours grand effet.

Vint la Première Guerre mondiale, l’effondrement de l’Autriche, la ruine et les difficultés matérielles. Hofmannsthal en a souffert profondément. Son talent si brillant à ses débuts s’assombrit progressivement. Il reprend le thème d’une danse macabre dont Calderón lui a fourni le titre et les personnages. C’est un véritable jugement dernier sous la forme d’un jeu théâtral que le Seigneur s’offre à lui-même, Das Salzburger grosse Welttheater (Le Grand Théâtre du monde ), 1922. Après diverses épreuves, qui donnent lieu à de très beaux discours, seuls le Mendiant et la Sagesse entreront de plein droit au Royaume éternel. Pour le Roi et la Beauté, il y a quelque espoir; mais le Riche au cœur dur demeurera dans les Ténèbres extérieures.

Hofmannsthal écrit encore deux aimables comédies de caractères ou de mœurs viennoises, Der Schwierige (L’Homme difficile ), 1921, et Der Unbestechliche (L’Incorruptible ), 1922. Surtout, il s’acharne à refaire, à remodeler un grand drame de Calderón, La vie est un songe , sous le titre de Der Turm (La Tour ) dont il a laissé deux versions assez différentes.

Hofmannsthal est mort à cinquante-cinq ans à Rodaun près de Vienne, à la suite d’un drame de famille: son fils aîné s’était suicidé sous ses yeux. Quand il lui fallut prendre la tête du cortège funèbre, il s’effondra, foudroyé par un infarctus mortel. L’œuvre qu’il a laissée et qui lui survit comprend encore des nouvelles, l’ébauche d’un roman et de très nombreux essais, discours, conférences (quatre volumes d’œuvres en prose), souvent d’une très grande beauté.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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